Eizo,
Comme tu le sais, j'ai vraiment été étonné de découvrir ce qu'était devenu ton oeuvre. Toutes les peintures que j'ai vues font parties d'un ensemble très cohérent qui a su trouver sa maturité. C'est l'oeuvre d'un homme.
Elles expriment très bien ce qui t'habite et t'occupe. Et ce qu'on peut découvrir de toi à travers elles t'échappe sans doute. Toi-même, tu n'es certainement pas le mieux placé pour voir la réalité globale de ta peinture..
L'oeuvre est toujours plus grande que son auteur et le dépasse. Mais si ta peinture parle de toi avec cohérence, elle parle aussi des hommes. Montaigne a écrit "je suis homme et rien de ce qui est humain ne peut m'échapper". Et c'est le fabuleux privilège des peintres que de faire partie de l'histoire des hommes, de l'âme collective, et d'en témoigner. Tu es peintre, et tu as reçu ce privilège.
Mais tu es aussi toi, c'est à dire un homme pudique, rongé d'interrogations personnelles que tu ne peux partager. Tu les portes en toi. En peignant, tu les offres au monde. Elles "crèvent l'écran" ! Ta peinture est personnelle, et c'est en ça qu'elle exprime un véritable univers. Tu es pudique, mais tu sais aussi faire violence à ta pudeur. Tu recueilles ces magnifiques parcelles de ciel, ces gouttes de pluie à qui tu donnes le statut d'étoiles. Tu recueilles l'eau de la butte aux cailles pour l'offrir à boire à ceux qui ne savent pas la voir. Et en voulant recueillir la trace de toutes ces lèvres que tu ne peux serrer contre toi, n'est-ce pas une façon de te dévoiler ? Et n'est-ce pas le même principe qui te conduit aussi à posséder un peu la nature en faisant les installations minuscules que tu as faites et photographiées ?
Tu n'as pas à t'expliquer, ni à douter. Car tout ce que tu fais est cohérent. C'est la meilleure preuve de ta sincérité.
Lettre de Jean Réal
le 24 novembre 2003